_ « Prévues depuis 2019, les élections territoriales au Sénégal ont à plusieurs reprises été reportées. Ces reports ont eu plusieurs raisons différemment appréciées par les acteurs politiques et les populations (covid-19, urgences nationales, retard du fichier électoral, …). Finalement, en janvier 2022, ces élections ont pu se tenir sans difficultés majeures. Ainsi, pour la première fois au Sénégal, le choix des maires et présidents de conseil départemental s’est fait au suffrage universel direct concrétisant ainsi l’expression selon laquelle, une élection est d’abord la rencontre entre une personne et les populations de sa localité (Koebel, 2013). Aux termes des élections, la tendance des résultats a montré une victoire de l’opposition dans les grandes villes comme Dakar, Diourbel, Ziguinchor, Kaolack, Rufisque, les Parcelles assainies, Guédiawaye, Tivaouane, Thiès et Touba et la défaite de certains ténors de la Coalition Bennon Bokk Yakar (BBY) comme le frère du président à Guédiawaye ou encore le ministre de la santé à Dakar.Pendant cette campagne, la Coalition au pouvoir a fait le choix de reconduire dans la plupart des localités, des maires sortants parfois usés par le temps et par les promesses non tenues. Ces élections territoriales ont ainsi démontré que la question du leadership politique (SAWICKI, Frédéric, 2003 : 71), de la base politique n’est pas immuable (BEYE, Van Hamme, 2019 : 1). Les transhumances observées pour espérer un gain électoral dans certaines grandes villes comme Thiès ou les Parcelles Assainies n’ont pas été fructueuses. Au contraire, elles ont desservi la coalition au pouvoir. En outre, au-delà de ces « anciens de la politique », ces élections ont vu l’émergence d’une « nouvelle génération d’hommes politiques » (, de cadres du pouvoir dont certains n’ont jamais participé à un scrutin en tant que candidat à la mairie, investis dans certains territoires et battus par les candidats de l’opposition. C’est le cas à la Médina, à Castors, Yeumbeul, Grand yoff et Yoff. Quelle leçon la coalition au pouvoir doit-elle tirer de cette défaite dans les grandes villes ? Qu’est ce qui explique cette fois -ci encore, la difficulté de la Coalition au pouvoir à gagner les grandes villes : la dispersion des votes, les listes parallèles, les modes d’investissements des candidats ? Qu’est ce qui explique la débâcle dans certains territoires de la Coalition au pouvoir ? Si comme en 2014, les candidats qui ont subi le diktat des urnes devaient quitter le gouvernement, lors de la réunion de bilan du 2 février 2022 du Secrétariat exécutif national (SEN) de l’Alliance pour la République, le chef de l’État a cette fois été plus indulgent avec les vaincus des élections territoriales et a insisté sur la nécessité de mieux préparer les prochaines échéances électorales. En réalité, selon le chef de la coalition au pouvoir, les chiffres apportent un éclairage heureux d’une victoire à la fois « nette et écrasante » de sa coalition qui reste majoritaire en remportant 38 départements et 438 communes, alors que Yewwi Askan Wi se retrouve avec seulement 71 Communes. Cette lecture des élections explique sans doute cette indulgence ou plutôt cette une prudence politique face aux risques de frustrations et de votes sanctions aux élections législatives à venir. Néanmoins, quelles leçons tirer de ces élections territoriales pour mieux anticiper sur celles législatives à venir ? Au-delà de ces considérations politiques, ces élections territoriales ont été parmi les plus chères de l’histoire du Sénégal. Elles ont une fois de plus démontré que la disposition de moyens financiers, matériels et parfois de moyens de l’État, ne garantit plus forcément la victoire aux élections. Surtout qu’il est aujourd’hui unanimement admis que l’argent distribué le plus souvent par les candidats au pouvoir est de l’argent public, les populations peuvent ainsi en consommer. Par contre, une fois dans l’urne, elles peuvent choisir de voter selon leur propre conscience. Quels sont ainsi ces moyens financiers, techniques et matériels mobilisés, ces moyens de l’État ? Quel a été leur impact dans l’issue de ces élections ? Bien plus que les dernières élections territoriales, celles-ci furent marquées après la proclamation des résultats provisoires, par des recours au Tribunaux introduits par les candidats qui estimaient des irrégularités dans les élections. Celles-ci ont plus souvent porté sur la différence entre les suffrages exprimés et celui dans les procès-verbaux transmis aux autorités. Sur ces questions, deux phénomènes sont récurrents dans la gestion des élections au Sénégal à savoir la judiciarisation et la juridicisation (Kaluzinski, 2007). Cependant, celles-ci plus que les autres furent marquées par des oppositions internes au sein de l’administration entre les autorités administratives et les autorités judiciaires. Soutenus par le ministère de l’intérieur et portés par l’agent judiciaire de l’État, les préfets et sous-préfets se sont pourvus en cassation, en déposant 11 recours, pour contester les décisions des Cours d’appel. Cependant, la Cour Suprême n’a pas jugé recevable les recours des préfets ceci pour éviter de désavouer leurs collègues qui ont rendu un verdict en toute transparence. Parmi les recours déposés, sept concernent la région de Saint Louis, un dans la région de Matam et un autre dans la région de Ziguinchor. Comment analyser cette judiciarisation des élections ? Quelles leçons tirées du lien entre les autorités administratives et les autorités judiciaires ? Malgré ces recours, les résultats des élections ont vu l’arrivée de novices en matière de gestion des affaires publiques. Ils ont le plus souvent bâti leurs campagnes sur l’urgence de gérer autrement, de dépolitiser la politique, (Thibaut Rioufreyt, 2017) de lutte contre la corruption, la gabegie, le népotisme, … Ayant obtenu la confiance de la population, leur mission sera d’autant plus difficile que les populations ne leur toléreront aucune erreur au risque de les mettre dans le même sac que tous les autres professionnels de la politique. Qu’est ce qui explique dans le contexte sénégalais cette tendance à la professionnalisation de l’acteur politique (Favre, 2005) ? Quelle différence entre ces nouveaux et les « anciens politiciens » ? Auront-ils, face à la coalition au pouvoir, les moyens d’atteindre les objectifs qu’ils se sont fixés dans leurs programmes ? Parlant de programmes, la campagne proprement dite a révélé une vacuité discursive en termes de programmes (Carbone, 2006 : 12). Elle est marquée également par de belles promesses (Lèbre, 2012), tenues souvent par les novices en politique qui auront en face d’eux le pouvoir central qui ne ménagera aucun effort pour leur rappeler leur position d’opposant. Certains candidats ont-ils surfé sur des fibres ethniques, de genre, de religions et autres pour gagner les suffrages de leurs électeurs ? Quels risques pour la démocratie et pour leur avenir politique ? Quel a été le contenu des programmes proposés ? Comment ces programmes ont été diffusés auprès des populations ? Quel a été le poids des programmes dans les choix des électeurs ?En réalité, les élections territoriales constituent une fenêtre d’opportunité politique (Boussaguet, 2014) pour les élections législatives et présidentielles. Pour légitimer leur ancrage territorial, certains leaders nationaux ont pris le risque d’être candidat aux élections territoriales. Leur victoire ou leur défaite a ou relancé ou compromis leurs ambitions nationales. Ces élections constituent selon certains observateurs le signe de la « maturité » politique des Sénégalais et un moment de respiration démocratique. À l’exception de quelques cas de résistances, la plupart des ténors qui ont perdu les élections ont félicité les candidats choisis en leur souhaitant un succès. Les élections territoriales constituent-elles un baromètre de la démocratie ? Permettent-elles de mesurer le poids électoral des partis et coalitions politiques et d’affiner la démocratie ? Pour aborder l’ensemble de ces questions, une journée d’étude est organisée par l’UFR des Sciences Juridiques et Politiques de l’Université Gaston Berger et verra des contributions aussi bien des enseignants-chercheurs, mais aussi des étudiants. En outre, cette journée verra également la participation des acteurs politiques, des autorités judiciaires et administrations ainsi que des représentants de la société civile en vue d’échanger de manière approfondie des leçons apprises de ces élections pour renforcer la démocratie sénégalaise et anticiper sur les prochaines échéances législatives et présidentielles ».